#Gazdeschiste: 3 questions aux réalisatrices du film No Gazaran

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Aujourd'hui sort en salle le film documentaire "No Gazaran" qui retrace plusieurs années de lutte contre les gaz de schiste dans le Sud-Est et le Bassin Parisien. Nous avons posé 3 questions à Doris Buttignol et Carole Menduni, les réalisatrices du film.

1- D'où est venu l'idée de faire un documentaire sur la lutte contre les gaz de schiste?

Au départ, nous nous sommes investies dans ce projet car nous vivons nous mêmes sur un territoire concerné.  Nous sommes d’abord parties du terrain, des gens en essayant de comprendre qui ils étaient et ce qui a été déclencheur pour eux. Et puis il s’agissait de donner à comprendre la nature et la gravité des risques évalués à partir du retour d’expérience américain mais également de resituer dans quel contexte sont arrivés les gaz de schiste. Nous avons rencontré la plupart des acteurs impliqués dans ce dossier : le ou les mouvements d’opposition car les tendances sont diverses, les élus locaux, régionaux, européens, les experts juriste, hydrogéologue, médecins, toxicologues, ingénieurs. Dans l’affaire du gaz de schiste, la difficulté d’accès à des informations claires, une certaine récupération politique, le climat général de crise sont autant d’obstacles à la claire compréhension des enjeux par le grand public.  L’objectif que nous avons donc poursuivi avec ce film est de proposer une mise en lumière. Nous avons décidé de mener une enquête à différents niveaux pour nous  appuyer sur des faits permettant de décrypter les véritables enjeux géostratégiques, environnementaux, financiers et sociétaux.


2- Que retirez-vous de cette expérience?

De notre point de vue, l’avènement de cette nouvelle énergie fossile est révélateur d’une mutation profonde et importante : nous arrivons au terme d’une époque d’abondance et de consumérisme triomphant, qui n’a été possible que par l’accès à une énergie peu chère et considérée sans limites. Aujourd’hui la donne a changé : on comprend que les ressources fossiles ne sont pas inépuisables, on comprend aussi que celles qui existent sont confisquées par une poignée de multinationales qui règnent sans partage sur la planète.


Ce qui nous surprend  sur ce dossier c’est que si nous, sans moyens, avons pu réunir cette somme d’informations comment les décideurs qui eux ont les moyens peuvent ignorer les faits ?


Nous avons suivit l’ensemble des débats à Bruxelles puis à Strasbourg au sein du parlement européen. Là encore force est de constater que l’hégémonie économique en place depuis l’ère industrielle prône  sur le désir grandissant d’un nouveau modèle de société.


En France, une fois passée l’effet de surprise de la mobilisation citoyenne qui dans un premier temps a obligé le gouvernement et les industriels à reculer, la riposte commence à se faire sentir. Certes une loi interdit la fracturation hydraulique mais le problème est loin d’être réglé.


Dans les médias, le débat sur le gaz de schiste est schématiquement représenté en deux catégories : les anti, essentiellement des écologistes, des rêveurs, des opposants au progrès et les pros plaidant pour l’exploitation de ce nouvel or noir qui git sous nos pieds : création d’emploi, réindustrialisation, indépendance énergétique. Le véritable débat, celui de la gestion décentralisée de notre modèle énergétique est occulté.


3- Vous suivez de près les collectifs citoyens qui luttent au quotidien contre les gaz de schiste. Souhaitiez-vous en quelque sorte leur rendre hommage?

En quelque sorte c’est aussi ce que nous avons fait. Nous avons eu envie de pousser un peu les murs, de faire de la place à la vie, de porter voix à une lutte humaine, et d’en la garder trace.

Quand des gens de toutes conditions se regroupent, malgré leurs différences, voire leurs oppositions, pour prendre la parole sur les conditions faites à leur vie, c’est un peu les hommes qui gagnent contre les machines.

Les opposants au gaz de schiste n’ont pas le profil classique de la revendication militante. Ils sont artisans, enseignants, de profession libérale, agriculteurs, d’âges divers. Leurs opinions politiques sont variées, beaucoup d’entre eux précisent qu’ils ne sont pas écologistes. En fait ce qui les relie est un exercice de la citoyenneté qui se rapproche de ce que Stéphane Hessel avait appelé l’indignation. Ils estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux, ils sont nombreux à douter du fonctionnement de notre démocratie. La différence entre les citoyens en lutte et d’autres c’est qu’ils ne sont pas submergés par un sentiment d’impuissance mortifère. Ils ne renoncent pas.


Pour s’engager concrètement dans ce nouvel âge de la participation dans les questions citoyennes, il nous faudra vaincre les résistances, les conservatismes et les intérêts particuliers. Agir sur la question environnementale ne peut se faire sans une déconstruction de nos modes de consommation et de nos modes de vie.  C’est ce chemin qui doit être emprunté pour changer le modèle énergivore dans lequel nous sommes, pour préserver l’écosystème et répartir plus justement les ressources à l’échelle de la planète.


Ce n’est pas régressif, c’est progressiste : Etre responsable, se contenter du nécessaire, adopter une nouvelle façon de vivre et de consommer.


Tout ceci demande du courage, de faire des concessions mais une fois engagé dans la transition c’est un vent d’optimisme qui souffle dont nous avons bien besoin. Je pense à Henry David Thoreau, le père de la désobéissance civile et un pionnier de l’écologie, il écrivait en 1849 : « l'État n'affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d'un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d'un esprit ni d'une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. Je ne suis pas né pour qu'on me force. Je veux respirer à ma guise. » Cette dernière phrase prend tout son sens aujourd’hui.