Point de vue : Pétrole... l'injuste prix !

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Point de vue de Stéphen Kerckhove, délégué général d'Agir pour l'Environnement

Qu'il est loin le temps du pétrole cher où les discours sur la sobriété énergétique irriguaient les discours politiques. Pétrole et gaz de schiste coulent à flot entrainant tout à la fois l'illusion d'une énergie abondante que l'on pourrait gaspiller avec la nonchalance des nantis et une chute spectaculaire des prix de l'énergie. Les dumpings énergétique, écologique et climatique mettent à bas toute tentative de faire émerger un autre système reposant sur la sobriété, l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. L'heure est désormais à l'ébriété énergétique. Les pétrooliques anonymes peuvent à nouveau trinquer à la santé du climat !

Répit pourtant de courte durée. Malgré la cécité d'un marché inapte à anticiper une hausse inévitable, il est de la première importance de cesser de raisonner en tant que consommateur impénitent et gorgé de pétrole mais en tant qu'acteur responsable et conscient des enjeux climatiques.

Chacun pourra ainsi applaudir une baisse inespérée du prix des matières pétrolières et boire le calice jusqu'à la lie. Dans un même concert de louanges, les économistes à courte vue applaudiront au rebond d'une croissance totalement dépendante du cours des matières premières. Le pétrole baisse, la croissance revient, le marché de l'emploi redémarre. Les chantres de la croissance pour la croissance par la croissance trépignent déjà comme des enfants gâtés. La gueule de bois sera à la hauteur de cette incontinence pétrolière.

A l'avant-veille de la conférence onusienne sur le dérèglement climatique qui se teindra à Paris en 2015, la priorité doit être donnée à la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre. Baisse de nos émissions incompatible avec une baisse du prix des matières pétrolières et gazières. Le marché, dans son irrationalité et son court-termisme, est inapte à saisir la menace climatique. La main invisible du marché, censée réguler "naturellement" les prix en fonction de l'offre et la demande, est en passe d'étrangler notre avenir et d'obérer nos chances de limiter la hausse des températures.

Le courage en politique n'est pas de surfer sur les facilités et automatismes nés durant les trente glorieuses et cinquante gaspilleuses. Préparer l'avenir ne peut se résumer à appliquer sans distance ni imagination les mêmes recettes d'un productivisme finissant.

L'Etat doit donc voir loin en adoptant une fiscalité écologique renchérissant le coût du pétrole et du gaz afin de prendre en compte les externalités négatives. Laisser le marché fixer un prix qui ne reflète jamais le véritable coût écologique, c'est la garantie de payer au prix fort les errements de la cigale. L'Agence Internationale de l'Energie, peu suspecte d'entretenir des relations adultères avec les écologistes, ne cesse de dire et répéter que pour éviter le crash climatique, il nous faut faire l'effort de laisser sous nos pieds les deux tiers des réserves pétrolières disponibles prouvées.

La sobriété n'est pas une option mais une nécessité. Laisser le prix du pétrole baisser serait un erreur stratégique, une faute politique, un crime contre l'humanité.