Pesticides, amiante : Faut-il attendre la justice pour agir ?

Communiqués de presse

Deux décisions de justice survenues ce lundi 13 février méritent un rapprochement édifiant. Elles montrent à la fois que la justice finit par obliger à la reconnaissance des désastres sanitaires et environnementaux, et malheureusement que cette reconnaissance et les réparations demandent souvent des décennies et des multitudes de décès.

D’une part, le tribunal de Turin a condamné les deux chefs d’entreprises (et milliardaires) responsables du scandale de l’amiante de Casale Monferrato à 16 ans de prison et plusieurs dizaines de millions d’euros de dédommagements aux parties civiles. Plus de 40 ans après que le rôle de l’amiante dans le développement de cancers incurables a été formellement établi, les responsables d’entreprises ayant sciemment poursuivi son exploitation dans des conditions criminelles sont enfin condamnés. Hélas, ce verdict ne rendra pas la vie aux 3.000 morts ni la santé aux dizaines de milliers de malades de la petite ville italienne où les travailleurs manipulaient l’amiante à main nue et où les poussières imprégnaient l’atmosphère.

D’autre part, le tribunal de grande instance de Lyon a jugé la multinationale Monsanto responsable du préjudice subit par Paul François suite à l’inhalation du pesticide « Lasso ». Cet agriculteur avait été grièvement intoxiqué par les vapeurs de ce désherbant en 2004, et ne peut désormais plus travailler qu’à mi-temps en raison des troubles persistants, conséquence des dégâts occasionnés sur son système nerveux central.

Dans les deux cas, les entreprises en cause savaient. Le lien entre l’exposition à l’amiante et le cancer de la plèvre avait été identifié dès 1938, et reconnu dans de nombreux pays à partir des années 1970 ; pourtant, les deux propriétaires successifs de l’entreprise Eternit de Casale Monferrato avaient poursuivi son extraction sans même prendre la précaution d’en confiner les poussières. Le danger du Lasso était reconnu depuis les années 1980, et cet herbicide avait été interdit au Canada en 1985 et au Royaume-Uni en 1992 ; pourtant, Monsanto avait réussi à obtenir qu’il continue d’être utilisé en France, où son interdiction n’a été prononcée qu’en 2007.

Les deux jugements du 13 février sont encourageants, car ils montrent que la justice finit par rattraper les responsables des empoisonnements environnementaux. Mais ils sont également inquiétants, car ils témoignent de la désinvolture criminelle des entreprises multinationales, qui préfèrent exploiter un filon économique à n’importe quel prix, fût-il celui de la santé humaine et de la destruction de l’environnement. Le délai entre les faits incriminés et le jugement est par ailleurs choquant : pourquoi a-t-il fallu attendre 40 ans pour l’amiante italienne, et pourquoi le cas des usines françaises du groupe Eternit n’est-il toujours pas jugé ?

L’amiante est enfin strictement interdite dans l’Union européenne, mais elle continue à être utilisée dans une partie de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique Latine. Le Lasso est enfin interdit en France, mais les pays du Sud continuent généralement à recevoir pendant des années les stocks des pesticides interdits en Europe. Qu’attendons-nous pour prendre les mesures qui s’imposent à l’échelle planétaire, et pour nous attaquer réellement au scandale des pesticides ?