CHRONIQUES TERRIENNES n°6 par Stéphen Kerckhove : Vu à la télé #démissionHulot

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Chronique rédigée le 13 juin 2018 pour la revue Silence sur le cas "Nicolas Hulot"... et toujours d'actualité.

Vu à la télé...

Plus d’un an après la nomination de Nicolas Hulot en tant que ministre de la Transition écologique et solidaire, la liste des renoncements s’allonge*. Ne rien attendre et être finalement déçu n’est pas le moindre des paradoxes. Mais l’état de la planète, les menaces climatiques, l’effondrement des écosystèmes nous invitent à garder l’espoir et ce, malgré l’évidence d’un rapport de force défavorable et d’une orientation politique faisant la part belle aux « destructivistes ».

Mais l’échec de Nicolas Hulot n’est malheureusement pas celui d’un individu. Il serait trop simple de croire qu’en remplaçant Hulot par un autre, la situation serait autre. C’est tout un système qui est en cause, une incapacité à lire le jeu d’acteurs et établir un rapport de force pesant sur les thuriféraires du système libéral.

Faute d’oser construire et assumer une radicalité écologique, ministre de l’écologie après ministre de l’écologie butte sur le syndrome du pot de fleurs. Au mieux, le ministre est appelé à faire de la figuration ; au pire à justifier sous un verbiage vert pale des renoncements divers et variés.

Avec Nicolas Hulot, nous avons franchi un cas, celui d’une écologie télévisuelle qui simule une fausse radicalité sans en avoir sérieusement les attributs. Faute d’ancrage territorial et de relais locaux, Nicolas Hulot est un homme seul ; seul face à la société du spectacle qui se délecte de ce vide télévisuel. Lorsqu’un homme public accepte des responsabilités institutionnelles, il renonce à sa part d’autonomie et d’exigence pour négocier des compromis. Quel que soit le degré de radicalité du ministre, si ce dernier est seul face à l’institution, il sera rapidement frappé d’apoplexie. C’est ce qui arrive à Nicolas Hulot, incapable de construire un rapport de force en s’appuyant sur un mouvement écologique déterminé.

De fait, l’échec de Nicolas Hulot nous renvoie à l’atonie du mouvement associatif, appelé à négocier sans fin des grenelles, conférences environnementales, états généraux, assises, etc. Et pendant que les négociateurs négocient, la base se désespère et les oiseaux ne chantent plus. L’heure est à la construction d’un véritable rapport de force, adossé à un vaste mouvement social fort de plusieurs dizaines de milliers d’adhérents.  Sans majorité culturelle, sans base mobilisée, ministre et responsable associatif ne sont rien ; perdus dans les méandres du labyrinthe institutionnel, le mouvement associatif s’assèche. Comme le veut la formule, « on a souvent tort d’avoir raison tout seul ».

L’échec de Nicolas Hulot était donc prévisible car l’homme providentiel n’existe pas. Même si ce personnage médiatique était sincère et déterminé, il ne peut rien face à la puissance du système capitaliste. Faute d’oser formuler ce diagnostic, nous sommes condamnés à aller de déception en déception. L’heure est à la reconstruction d’une écologie populaire enracinée et prête à engager le fer. Sans cette première étape, le sommet continuera à négocier sans base mobilisée et persistera à cantonner l’écologie à sa version édulcorée, allégé en radicalité ; inefficace mais vu à la télé.

* Chronique rédigée le 13 juin dernier pour la revue Silence (soit deux mois et demi avant la démission de Nicolas Hulot)