Le chlordécone, un scandale sanitaire et environnemental sur le sol français !

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"Jusqu'à présent, la liste des erreurs (de l'État) était plus longue que celle des actions efficaces", assène la sénatrice Catherine Procaccia le 3 mars 2023 au sujet du scandale sanitaire du chlordécone.

Répandu sur les bananeraies antillaises entre 1972 et 1993 pour lutter contre le charançon, ce pesticide est aussi un perturbateur endocrinien augmentant le risque de cancer, notamment de la prostate, et perturbant le développement des enfants. Très persistant dans l'environnement, il pourrait également peser lourd sur la biodiversité.

30 ans se sont écoulés depuis l'interdiction de l'utilisation du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe en 1993. Pourtant, l'INRA rapportait déjà ses effets nocifs sur la pollution des sols en 1977 et sur la contamination de la faune sauvage en 1980, précise un rapport officiel. Sur le territoire français, seules les Antilles ont continué à utiliser le pesticide, par une dérogation obtenue par les industriels de produits phytosanitaire. Il était pourtant déjà banni des Etats-Unis depuis 1976 et classé comme "cancérogène possible" par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 1979.

Du chlordécone dans les sols, les eaux et la population

Pire, le chlordécone et "très persistant dans l'environnement", souligne l'Office Français de la Biodiversité (OFB) et rend les sols impropres aux cultures maraîchères. Les estimations de 2023, qui restent à vérifier, annoncent que le chlordécone pourrait rester détectable dans les sols contaminés jusqu'à la fin du siècle. Une estimation bien plus optimiste que celle de 2009, prévoyant 350 à 700 ans.

Mais voilà : même disparu des sols, le chlordécone continuera à contaminer les eaux douces et côtières par ruissellement et infiltration, et les animaux qui y vivent. Or, près de 80% de la biodiversité française se situe dans ses territoires d'Outre-Mer, soulignent des experts. "Cette biodiversité subit un déclin sans précédent", alertent-ils, principalement en raison de la pollution chimique à laquelle contribue le chlordécone. Absorbé par les algues, il se concentre dans les organismes vivants jusqu'à être détecté dans la faune pêchée et les humains qui la consomment.

"Il est certain que, désormais, nous devons vivre avec ce pesticide, alors que nous ne savons pas précisément où il se trouve dans nos sols et dans nos eaux", martèle auprès du Sénat Janmari Flower, vice-président de l’association Vivre. La cartographie des sols contaminés par la substance toxique n’est en effet pas achevée, soulignant la défaillance de l'Etat français dans la gestion de la situation.

Chlordécone

Sols potentiellement pollués par le chlordécone en Martinique, 2018 (Source)

Non-lieu après 16 ans de procédure judiciaire

L'association guadeloupéenne Vivre fait partie des 17 parties civiles ayant déposé plainte en 2006 pour "empoisonnement", "mise en danger de la vie d’autrui", "administration de substance nuisible" et "tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises". Mais après 16 ans de procédure, le 2 janvier 2023, la justice a rendu un non-lieu définitif, estimant difficile de prouver l'infraction pénale au regard des connaissances de l'époque. Un déni de justice, dénoncent les associations impliquées, alors que des analyses de sang avaient révélé que 90% des antillais étaient contaminés par le chlordécone. Chez 14% des guadeloupéens et 25% des martiniquais, cette concentration dépassait la valeur toxicologique de référence, au-delà de laquelle des risques pour la santé ne peuvent pas être écartés.

Cancers et atteintes hormonales

Certains de ces risques sont connus. Selon le Pr Luc Multigner, directeur de recherche à l'Inserm, 5 à 7% des cas de cancers de la prostate observés aux Antilles seraient attribuables au chlordécone. Aucune recherche n'a cependant été menée sur d'autres types de cancers, et en particulier, rien sur la santé des femmes. Une autre étude de l'équipe du Pr Multigner a cependant mis en évidence un lien entre l'exposition pré et post-natale au chlordécone et un risque accru de prématurité, ainsi qu'une atteinte hormonale pouvant interférer sur le neuro-développement, le poids et la taille des enfants jusqu'à l'âge de 7 ans. Des effets "relativements modérés" au niveau individuel qui pourraient cependant "avoir un impact non négligeable au niveau de la population", conclut le Pr Multigner.

Dans son plan Chlordécone IV (2021-2027), le gouvernement annonce financer la recherche pour décontaminer les sols, et mieux comprendre l'impact du pesticide sur les territoires et sa population. Mais les autorités font face à un autre problème : la méfiance d'une population antillaise déçue et en colère.