Perturbateurs endocriniens: Le temps de l'action

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Le jour de la réunion qui doit sceller le sort de la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE), 27 organisations de la société civile publient un Manifeste et une pétition publique, appelant le gouvernement à adopter une stratégie ambitieuse de réduction des expositions des populations et des écosystèmes aux perturbateurs endocriniens.

Nous, associations de promotion de la santé environnementale, de protection de l’environnement, associations de malades, associations de consommateurs, mutuelles, syndicats, associations familiales et de parents d’élèves, associations de médecins

Considérant les rapports des institutions internationales alertant sur l’épidémie mondiale de maladies chroniques (La prévention et la maîtrise des maladies non transmissibles, Assemblée Générale des Nations Unies, 2011), sur les impacts des pollutions chimiques sur la santé et l’environnement (Global Chemicals Outlook, Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 2012) et sur l’érosion de la biodiversité (Conférence des Nations Unies sur la diversité biologique, Nagoya, 2010),

Considérant les principes de prévention, de précaution et de responsabilité écologique, à valeur constitutionnelle et le principe d’intégration de l’environnement dans le processus de développement, inscrit dans la Déclaration de Rio de 1992,

Considérant les appels réitérés de la communauté scientifique mondiale à agir rapidement pour préserver l’environnement et la santé humaine des atteintes des perturbateurs endocriniens, en particulier de leurs effets en combinaison au cours d’expositions pendant des fenêtres critiques du développement telles que les périodes de développement fœtal,

Considérant que les perturbateurs endocriniens induisent chez la faune des effets sur le développement, la métamorphose (hermaphrodisme chez les amphibiens), la croissance, la reproduction, le sex-ratio, l’immunologie, favorisent certaines pathologies (telles que des tumeurs cancéreuses), les troubles neurocomportementaux (perte d’équilibre chez les insectes pollinisateurs) et les modifications des caractères impliqués dans la reproduction, la survie et l’adaptation au milieu; que ces effets par voie de conséquence conduisent à la dégradation de la diversité biologique mais aussi et surtout à la perte des services écosystémiques,

Considérant l’augmentation au cours des dernières décennies des maladies chroniques et troubles hormonaux dans l’ensemble de la population, notamment chez l’homme une baisse de la fertilité, de la qualité du sperme, la multiplication des malformations génitales à la naissance et de certains cancers,

Considérant que les perturbateurs endocriniens peuvent avoir des effets œstrogènes ou anti-œstrogènes qui interfèrent avec le fonctionnement de l'appareil reproducteur féminin, altérant les concentrations hormonales et le cycle menstruel des femmes, favorisant le développement de maladies utérines (telles que les fibromes et l'endométriose) et affectant la croissance mammaire et la lactation; que ces substances ont été identifiées comme des facteurs de risque de puberté précoce, de cancer du sein, de fausse couche et d'altération de la fertilité jusqu’à l’infertilité,

Considérant que des troubles métaboliques (obésité, diabète de type II, syndrome métabolique), troubles du comportement, maladies neurodégénératives ainsi que certains effets sur le développement neurologique ou le système immunitaire peuvent être imputables à une exposition à des perturbateurs endocriniens, notamment des produits d'hygiène et de beauté puisque 7800 de ces produits se trouvant sur le marché seraient concernés par la présence de PE,

Considérant, d’une manière générale, que les perturbateurs endocriniens peuvent modifier l’épigénome à la base de la régulation de l’expression des gènes,

Considérant que les perturbateurs endocriniens sont à la fois présents dans notre environnement – air, y compris et surtout l’air intérieur, eau, sols et alimentation – et de nombreux produits et objets de la vie quotidienne,

Considérant que plusieurs perturbateurs endocriniens sont utilisés couramment dans des dispositifs médicaux, à l’instar du bisphénol A ou du mercure dans les matériaux d'obturation dentaires ; et que les enfants recevant des soins en néo-natalité ou les patients en traitement de longue durée y sont particulièrement exposés, s'agissant notamment des phtalates dans les tubulures en PVC

Considérant que de nombreux pesticides présentent des propriétés de perturbation endocrinienne, que leur présence dans les milieux naturels, notamment aquatiques, a été scientifiquement liée à des atteintes graves à la santé d’espèces animales, et notamment à leur fonction de reproduction, que les études scientifiques suggèrent des liens entre l’exposition aux pesticides et des pathologies graves chez les travailleurs et travailleuses agricoles (cancer de la prostate, lymphome non Hodgkinien, myélomes multiples, impacts sur la fertilité...) ainsi que des risques accrus pour le développement chez les enfants d’agriculteurs ou de riverains en cas d’exposition périnatale, que les pesticides, en formulation ou sous forme de résidus alimentaires, se présentent toujours sous la forme de cocktails chimiques aux effets non évalués, que la France est le premier utilisateur européen de pesticides et qu’elle s’est engagée en 2008 avec le plan Ecophyto à en réduire de 50% la consommation d’ici 2018,

Considérant les conséquences des expositions aux perturbateurs endocriniens sur la santé et l’environnement d’une part, mais également la charge potentiellement élevée qu’ils font peser sur l’économie et la société dans leur ensemble, en particulier sur le système d’assurances,

Considérant le devoir éthique de ne pas hypothéquer l’avenir de la jeunesse actuelle et des générations futures et les dangers pour la société que constitueraient une charge insupportable de morbidité et d’infertilité, une diminution globale des facultés intellectuelles de la population et l’augmentation des troubles du comportement,

Considérant enfin que la société civile a participé activement à la reconnaissance des enjeux des perturbateurs endocriniens par les pouvoirs publics ainsi que de leur large diffusion dans les médias ; que les associations et mutuelles ont été jusqu’à ce jour les seuls acteurs de la sensibilisation du grand public à cette problématique cruciale encore largement ignorée par les instances sanitaires,
Déclarons :

La Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) doit partir du rôle des perturbateurs endocriniens dans les crises sanitaires et écologiques mondiales et acter un changement de paradigme dans le traitement des perturbateurs endocriniens.

1 /  La SNPE doit avoir pour objectif premier de réduire les expositions des populations et des écosystèmes aux perturbateurs endocriniens, avec une réduction prioritaire de l’exposition aux perturbateurs endocriniens des publics les plus vulnérables de par leur situation sociale (inégalités sociales), leur état de santé (personnes atteintes de maladies et fragilisées), leur âge (période périnatale, femmes enceintes, jeunes enfants), leur activité professionnelle (métiers à risque d’exposition à ces produits),

2 /  La SNPE doit porter sur des mesures concrètes à la hauteur des enjeux identifiés aux niveaux international, européen et national, dont des mesures d’interdiction des PE déjà identifiés, en priorité dans les usages alimentaires, les cosmétiques, les jouets et articles de puériculture et les dispositifs médicaux, si besoin en précédant le lancement de procédures réglementaires européennes par des mesures nationales, lorsque les conditions de consensus communautaire ne sont pas réunies. En toute priorité de telles mesures nationales doivent émerger dès 2013 pour les phtalates et se poursuivre pour le BPA, ses dérivés et d’autres bisphénols qui ne sont pas encore couverts par l’actuelle législation.
La France doit sauvegarder l’esprit des règlements sur les pesticides et les biocides qui prévoient l’interdiction des PE en s’opposant à toute tentative d’instaurer des critères non fondés scientifiquement qui en réduiraient l’impact ; elle doit aussi œuvrer à un retrait rapide des pesticides et biocides PE déjà identifiés.

3 /  La SNPE doit mobiliser par la formation, la sensibilisation et des documents d’orientation tous les acteurs et professions pertinentes autour de l’objectif de réduction des expositions : services de l’Etat, agences, directions régionales, collectivités locales, acteurs publics et privés de santé, sociétés savantes, industriels, associations, chambres professionnelles, éducation nationale,

4 /  La SNPE doit acter le changement de paradigme toxicologique en cinq points des perturbateurs endocriniens dont les modes d’action remettent en cause la vision classique de la toxicité des substances chimiques : fenêtre critique d’exposition, latence des effets, effets cocktails, relation dose-effet non monotonique, effets transgénérationnels.

En particulier, dans le cadre d’une définition juridique européenne harmonisée, la France doit soutenir une définition la plus inclusive possible, considérant en parallèle le mode d’action et la nocivité et rejetant tout critère préalable d’exclusion tel que l’activité, et défendre l’assimilation des perturbateurs endocriniens à des substances sans seuil pour que les perturbateurs endocriniens avérés (catégorie 1) et fortement suspectés (catégorie 2) soient couverts sous le régime réglementaire de la substitution obligatoire et les perturbateurs endocriniens faiblement suspectés (catégorie 3) fassent l’objet d’une vigilance ou de restrictions dans les usages pertinents (cosmétiques, contact alimentaire, articles destinés aux enfants). La SNPE suivra ainsi les recommandations de nombreux chercheurs en pointe sur les PE, telles qu’exprimées par exemple par 89 scientifiques dans la  Déclaration de Berlaymont en mai 2013.

La France doit également intégrer les perturbateurs endocriniens dans ses politiques de coopération et de relations internationales, en particulier via le programme SAICM (Strategic Approach to International Chemicals Management)

5 /  La SNPE doit renforcer et adapter les moyens de l’expertise et de la recherche publiques sur les PE, notamment par la contribution au développement de méthodes de tests et d’essais adaptées, par le recrutement et la formation de toxicologues et d’écotoxicologues, par le financement et le développement d’équipes pluridisciplinaires, par un programme de biosurveillance humaine conséquent, par le développement de la recherche des impacts sur les écosystèmes et les espèces et par la mise en place d’indicateurs de surveillance des milieux. Des efforts de recherche doivent également être développés sur les impacts socio-économiques des PE afin d’appuyer la légitimité des politiques de prévention et des réorientations potentielles des budgets de santé publique.

6 /  La SNPE doit faire de l’innovation et la substitution une priorité. Elle doit ainsi inciter à l’émergence d’une chimie verte axée sur la réduction des risques toxicologiques et écotoxicologiques dès la conception des produits et des procédés. Elle doit faciliter et promouvoir les démarches de substitution en aval de la chimie, en cohérence avec les priorités de réduction des expositions (cosmétiques, jouets, alimentation, dispositifs médicaux) et en faisant toute leur place aux alternatives non chimiques. L’excellence devrait être recherchée dans les filières agro-alimentaires et cosmétiques et valorisée à l’exportation en avantage compétitif. Des outils et protocoles simplifiés doivent être mis à disposition des entreprises pour détecter le caractère perturbateur endocrinien de substances nouvelles et existantes et permettre leur retrait ou leur non mise sur le marché. La SNPE doit prévoir la mise en œuvre d’une politique exemplaire d’approvisionnement de l’Etat et des collectivités, dont prioritairement les établissements scolaires et hospitaliers, pour à la fois participer à la réduction des expositions et faire émerger un marché pour les alternatives aux perturbateurs endocriniens,

7 /  La SNPE doit prévoir la mise en place de mesures de réduction des pollutions à la source, dont des techniques et des mesures appropriées de traitement des effluents et de gestion des déchets vecteurs ou précurseurs de perturbateurs endocriniens (résidus médicamenteux, dioxines chlorées et bromées …), et l’élaboration de stratégies et de techniques de remédiation des milieux pollués par les PE (sols, sédiments) pour contenir leurs effets sur la faune et la chaine alimentaire,

8 /  La SNPE doit favoriser une information claire, compréhensible et accessible du public pour renforcer sa capacité à faire un choix éclairé, l’objectif étant d’éviter au maximum le contact avec les perturbateurs endocriniens par un étiquetage des biens de consommation (en priorité alimentation, cosmétiques et produits destinés aux enfants). Cette information pourra en particulier être fournie par des professionnels de la petite enfance, de la santé publique en contact avec les populations à risque (femmes en âge de procréer, femmes enceintes, jeunes enfants, personnes fragilisées par leur état de santé, etc.). La forme de cette information devra être adaptée à tous types de public avec un intérêt particulier porté aux publics socialement défavorisés, identifiés par les pouvoirs publics comme plus vulnérables aux expositions environnementales.

9 /  La SNPE doit assurer une formation appropriée des professionnels et des relais d’information sur les PE, en particulier des professionnels de santé, des médecins du travail, des CHSCT, des personnels de crèche et de PMI, des médecins scolaires, …

10 /  La SNPE doit être l’occasion d’une réflexion sur les coûts de la sécurité sanitaire et environnementale et sur la nécessaire contribution financière des « producteurs de risques » pour y faire face de manière appropriée. La surveillance, la recherche, l’expertise, le contrôle, la gestion réglementaire ou des programmes de remédiation ne doivent plus être supportés uniquement par les contribuables mais être compensés par une redevance indexée sur le chiffre d’affaires des entreprises génératrices ou vectrices de risques chimiques. En sus, une taxe sur la commercialisation, l’usage et l’émission de substances perturbateurs endocriniens (et d’autres substances soumises à autorisation) pourrait permettre d’accélérer les substitutions et d’encourager et financer l’innovation.

La future SNPE devra être MISE EN OEUVRE RAPIDEMENT et EFFICACEMENT

La SNPE devra, pour assurer sa mise en œuvre efficace comprendre un chapitre intitulé “Mise en œuvre” qui détaillera:

- un calendrier pour la parution d’un Plan d’Action visant à la mise en œuvre des objectifs fixés par la SNPE,

- les modalités de préparation et participants à l’élaboration du Plan d’action de la SNPE,

- une première estimation des moyens (ressources humaines, financières, techniques, etc.) qui seront mis au service de la réalisation de la SNPE, à détailler dans le Plan d’action.

Ce Plan d’Action devra assurer l’intégration horizontale des perturbateurs endocriniens dans l’ensemble des politiques publiques et notamment les grands plans de santé publique et de protection de la biodiversité.

1eres organisations signataires :

WECF France  /  Réseau Environnement Santé  /  Générations Futures  /  Agir pour l’Environnement (APE)  /  Le Collectif Interassociatif Sur la Santé (CISS)  /  Centre national d'information indépendante sur les déchets (CNIID)  /  Comité pour le Développement Durable en Santé (C2DS)  /  SOS MCS  /  Santé Environnement Rhône Alpes  /  Adéquations  /  Groupement International d’Etudes Transdisciplinaires (GIET)  /  Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO)  /  Fibromyalgie France  /  Le Lien  /  Au fil du Rhône  /  Coordination Nationale Médicale Santé Environnement (CNMSE)  /  Appel de la Jeunesse  /  La Mutuelle Familiale  /  Non Au Mercure Dentaire  /  Veille au Grain Bourgogne  /  Noteo  /  Confédération Paysanne  /  Fédération d’Actions Régionales pour l’Environnement - Sud  /  Association Toxicologie Chimie (ATC)  /  Alliance Provence  /  Les Paniers Marseillais  /  WWF  /  Fondation Sciences Citoyennes (FSC)

Parmi les travaux qui ont contribué au cours des deux dernières décennies à la construction de cette problématique et à orienter les décisions publiques, on peut retenir notamment :

The Impact of Endocrine Disruptors on Human Health and Wildlife, Weybridge, Royaume-Uni, décembre 1996

Stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens - une série de substances suspectées d'influer sur le système hormonal des hommes et des animaux, COM(1999) 706

Global assessment of the state of the science of endocrine disruptors, WHO-IPCS/ UNEP/ILO, 2002

Endocrine-Disrupting Chemicals: An Endocrine Society Scientific Statement. Diamanti-Kandarakis E et al. Endocrine Reviews 30(4):293-342, 2009

State of the art assessment of endocrine disruptors. Final report. Project Contract Number 070307/2009/550687/SER/D3. Authors: Andreas Kortenkamp, Olwenn Martin, Michael Faust, Richard Evans, Rebecca McKinlay, Frances Orton and Erika Rosivatz. 23 Décembre 2011

OECD test guidelines programme – Draft guidance document on the assessment of chemicals for endocrine disruption – ENV/JM/TG (2011) 4, 2011

Perturbateurs endocriniens : le temps de la précaution, Rapport de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2011

Perturbateurs Endocriniens (PEs)  et Cancers, Analyse des  risques et des mécanismes, propositions pratiques, Rapport de l’Académie nationale de médecine,  2011

State of the science Endocrine disrupting chemicals, WHO/UNEP, 2012

The impacts of endocrine disrupters on wildlife, people and their environments, The Weybridge+15 (1996–2011) report, European Environment Agency, 2012

Developmental origins of non-communicable disease: implications for research and public health,  Barouki R, Gluckman PD, Grandjean P, Hanson M, Heindel JJ., Environ Health. 2012 Jun 27;11:42

Exposure of pregnant consumers to suspected endocrine disruptors, Danish Environment Protection Agency, March 2012

Key scientific issues relevant to the identification and characterisation of endocrine disrupting substances, Report of the Endocrine disrupters Expert Advisory Group, Sharon Munn, Marina Goumenou, JRC[1], 2013

Scientific Opinion on the hazard assessment of endocrine disruptors: Scientific criteria for identification of endocrine disruptors and appropriateness of existing test methods for assessing effects mediated by these substances on human health and the environment, Efsa scientific committee, EFSA Journal 2013;11(3):3132

Late lessons from early warnings: science, precaution, innovation, European Environment Agency, January 2013

Opinion on the assessment of the risks associated with bisphenol A (BPA) for human health, and on toxicological data and data on the use of bisphenols S, F, M, B, AP, AF, and BADGE, French Agency for Food, Environmental and Occupational Health & Safety, March 2013

Pesticides: Effets sur la santé, synthèse et recommandations. Expertise collective de l’Inserm. Les éditions Inserm, 2013

 

Pour signer la pétition: http://www.change.org/StopPE

Le site Ensemble contre les perturbateurs endocriniens:http://stop-aux-pe.weebly.com/