Glyphosate : Monsieur le président, soyez à la hauteur de votre responsabilité historique

Communiqués de presse

Lettre ouverte d'Agir pour l'Environnement au président de la République française

Monsieur le président de la République,

Dans quelques jours, la France devra se prononcer sur la proposition de la Commission européenne pour renouveler l'autorisation du glyphosate en Europe. La position actuelle de la France, qui consiste uniquement à demander quelques encadrements cosmétiques de son utilisation, est en-deçà à la fois des engagements que vous avez pris en 2017, et de la responsabilité historique qui vous incombe.

En effet, les deux derniers arguments qui entravaient l'interdiction de ce pesticide sont désormais nuls et non-avenus.

1) Comme le révélait hier le journal Le Monde[1], le "Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides" (FIVP) a reconnu que les graves malformations de Théo Grataloup sont dues à l'exposition au glyphosate de sa mère durant sa grossesse. Il s'agit bien là d'une expertise médicale, qui s'appuie sur des faits scientifiques anormalement écartés par les agences de sécurité sanitaire telle l'EFSA[2].

En effet, non seulement ces agences s'appuient essentiellement sur des résumés invérifiables d'études industrielles secrètes non-publiées, non-validées par les pairs, par définition non-reproductibles donc considérées normalement comme se situant en dehors du champ de la science !, mais en outre elles ne prennent en compte qu'une seule approche médicale, celle du criblage statistique. Or, concernant un produit omniprésent dans l'environnement (cf. les études sur sa présence dans les urines), l'existence d'un « bruit de fond » pathologique réduit considérablement la portée et la valeur de ces criblages.

Depuis toujours, la science, et a fortiori la médecine, s'est également construite sur une approche que l'EFSA évacue de façon aberrante : les chaînes de causalité et les démonstrations. Concernant le glyphosate, cette démarche scientifique élémentaire conduit à des conclusions alarmantes. Dès 2003, une équipe brésilienne (Dallegrave et al.) avait relevé une suspicion d'effets tératogènes (malformations) sur la base d'observations rigoureuses (étude validée par les pairs). Surtout, en 2010 des chercheurs argentins (Paganelli, Carrasco et al.) ont clairement établi un mécanisme d'action biochimique expliquant pourquoi cette molécule peut provoquer des malformations en interférant dans les processus d’embryogenèse (étude validée par les pairs). Cela s'appelle une démonstration scientifique.

C'est cette démonstration scientifique, ainsi que les révélations des Monsanto Papers (aveu des cadres de Monsanto sur les inquiétudes que le glyphosate soit tératogène et leur refus de mener la moindre étude risquant de le démontrer), qui ont conduit le FIVP à indemniser Théo Grataloup. Monsieur le président, prenez-en acte : désormais, vous ne pourrez pas prétendre que « vous ne saviez pas ». Votre responsabilité est directement engagée. En niant la science, en refusant la protection de vos concitoyens, vous prendriez le risque d'être personnellement comptable de vies brisées.

Rappelons par ailleurs que, même en matière d'études statistiques observationnelles, le corpus utilisé par l'EFSA pour minimiser les risques du glyphosate (résumés non-vérifiables d'études confidentielles) ne correspond pas à la norme scientifique internationale. En revanche, les revues d'études « validées par les pairs » sont alarmantes : le CIRC[3] a classé le glyphosate comme « cancérigène probable » et l'INSERM[4] alerte sur les nombreux dangers de cet herbicide sur la faune sauvage et sur la santé humaine.

2) Depuis des années, les organisations de l'agriculture de conservation des sols – dont les plus influentes sont ouvertement financées par Syngenta et Bayer, les deux principaux vendeurs de glyphosate – instrumentalisent leurs adhérents pour leur faire affirmer qu'il serait impossible de pratiquer une agriculture « sans-labour » sans avoir recours au glyphosate.

Ce mensonge agronomique est facile à réfuter : des centaines de paysans en France, des millions à travers le monde, pratiquent depuis des années « l'agriculture biologique de conservation » (ABC). Ils et elles ont démontré, par l'action, par la réalité indiscutable de leurs cultures, qu'il est possible de concilier une absence de labour et un refus de recourir au moindre herbicide de synthèse. Les techniques utilisées par l'ABC sont disponibles auprès de leurs organisations et même dans la presse[5]. Ici encore, vous ne pourrez pas prétendre que « vous ne saviez pas ». Si le vote de la France s'appuie sur ce mensonge évident, vous en porterez la responsabilité. 

C'est pourquoi nous vous demandons instamment de donner consigne à la France de voter « contre » toute ré-autorisation, même partielle, de ce pesticide dangereux pour la santé humaine, destructeur de l'environnement, et dont le bénéfice agronomique supposé est une imposture. Les alternatives agroécologiques existent, et le risque sanitaire est scientifiquement établi. Comptant sur votre responsabilité politique et sanitaire, nous vous prions de recevoir, Monsieur le président, l'assurance de nos salutations respectueuses,

Marie-Jeanne Husset 
Présidente d'Agir pour l'Environnement


[1]https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/09/glyphosate-theo-grataloup-porteur-de-graves-malformations-apres-une-exposition-prenatale-sera-indemnise_6193378_3244.html

[2]Autorité européenne de sécurité des aliments.

[3]Centre international de recherche sur le cancer.

[4]Institut national de la santé et de la recherche médicale.

 [5]https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/021023/glyphosate-le-terrain-dement-le-discours-du-gouvernement-et-de-la-fnsea