Troisquestions@Jean-Claude BESSON-GIRARD, directeur d'Entropia

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À l’occasion de la parution du n°12 d’ENTROPIA, le blog d'Agir pour l'Environnement accueille Jean-Claude BESSON-GIRARD. Entropia organise samedi 19 mai 2012, un colloque intitulé "Fukushima, fin de l'anthropocène ?"

Question n°1 - Les amis d'Entropia organisent une conférence-débat intitulée "Fukushima, la fin de l'anthropocène ?" Que signifie pour vous la notion d'"Anthropocène" ?

 Réponse de Jean-Claude BESSON-GIRARD - Entropia, revue d’étude théorique et politique de la décroissance s’est donnée pour objectif, depuis six ans, d’être une sorte de « vigie par gros temps » face aux problèmes les plus déterminants de notre temps à l’échelle planétaire et dont les conséquences locales apparaissent peu à peu. Il est donc logique qu’elle propose au débat la notion d’Anthropocène qui est encore quasi inconnue du grand public.

C’est l’objet de la rencontre du samedi 19 juin à La Roche Vineuse, près de Mâcon : l'Anthropocène mis en relation avec la catastrophe de Fukushima.

L’Anthropocène ?  Au-delà du contenu de ce terme proposé par des scientifiques pour désigner le fait que, depuis deux cents ans, les activités des sociétés humaines modifient les principaux paramètres géophysiques de la planète, on peut aussi l’interpréter comme l’irruption sur la scène de l’histoire des anthropiens capables d’en abréger le cours. C’est bien, en effet, ce que nous sommes devenus, en tant qu'humanité dominée par l'Occident, tandis que l’évolution elle-même s’est engagée dans une nouvelle trajectoire.

Cette interprétation ne va pas sans risques, mais elle éclaire le fait qu’il devient de plus en plus difficile de vivre en sachant ce que nous savons sur l’état du monde sans en être accablé. Et je ne parle pas ici de ceux dont l’accablement se concentre sur les tourments de la survie quotidienne. Pourtant, et pour qui ne vit pas dans cette misère, l’intérêt de la situation planétaire actuelle, niche, si j’ose dire, dans le constat qu’elle laisse apparaître comme jamais les connexions mises à nu dans les rouages d’une machinerie d’asservissement généralisé. Dans le cas de l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima, les contorsions méprisables de l’État Japonais et les non moins indécentes proclamations des États nucléarisés et de leurs sbires technocratiques, confirment le caractère totalitaire de la collusion entre la stratégie de la techno science planétaire et la nature même des États concernés par la puissance jalouse que procure cette connivence. Cette complicité étant, bien entendu, au service des stratèges de la survie sous perfusion énergétique du capitalisme et de tous les productivismes.

 Question n°2 - En quoi la catastrophe de Fukushima incarne-t-elle cet Anthropocène ?

 Réponse de Jean-Claude BESSON-GIRARD - La catastrophe de Fukushima peut être considérée en quelque sorte comme le paroxysme de l’Anthropocène en ce qu’elle symbolise l’extrême démesure d’une époque aveuglée par les dogmes du progrès et de la croissance économique, qui continue à vivre dans la croyance désastreuse en son pouvoir sans limites sur la nature.

 Question n°3 - Après une brève période post-Fukushima durant laquelle nous avons cru que la France allait être obligée de changer de modèle énergétique, rien ou presque n'a changé. Comment expliquez-vous ce conservatisme politique ?

 Réponse de Jean-Claude BESSON-GIRARD - Le conservatisme politique est également sans limites. Il n’est pas propre à la France.

Un an après Fukushima, force est de constater que cette catastrophe n’a provoqué aucun « déclic insurrectionnel». Pourquoi ? Plusieurs interprétations peuvent être avancées. L’impossibilité, relevée par Günther Anders, de penser, dans toutes ses conséquences, la collusion entre la technoscience auto-légitimée et le totalitarisme technocratique de l’État contemporain. Dans le cas de la catastrophe japonaise, « la Nature », avec un tsunami dévastateur, ne s’est-elle pas, en quelque sorte, invitée au bal du désastre en noyant largement la responsabilité humaine dans la puissance élémentaire et quasi métaphysique d’une fatalité « naturelle » qui l’aurait annulée ? D’autres causes possibles de l’absence de « déclic insurrectionnel » pourraient être, d’une part, la captation de la politique par l’économisme, affaissée sur les chimères d’un confort illusoirement placé dans la surconsommation, et, d’autre part, la dissolution du ressort insurrectionnel collectif dans la dégradation spectaculaire et marchande des formes prises par le politique. D’ailleurs, si l’on observe l’évolution des institutions actuelles, force est de constater qu’elles se sont transformées partout en instruments stratégiques de pouvoir accompagnant une schizophrénie générale qui nous entraîne dans la répétition inintelligible d’un processus sans finalité.